septembre 07, 2024

 

Un livre pour ceux qui n’ont pas cent quarante jours de marche devant eux !

 

Péninsule de Bernard-Pierre Vilboux est ce livre de voyage en poésie dans lequel on peut entendre, dans des intimités fameuses, les murmures du coeur et de l’âme de Bretagne.

En quelques dizaines de poèmes, l’auteur sait nous proposer des pauses contemplatives quand « les ruisseaux sont à la fête » ou simplement « au seuil de l’écluse, suivre à fleur d’eau la libellule du regard ».

Les poèmes, parfois emprunts d’une brume de nostalgie, regardent le temps passé comme on apprécie silencieusement un paysage sous le crachin. Ils nous invitent à alimenter le foyer des souvenirs :

 

Nous entrions dans le coeur de l’automne

Le jardin passait au jaune

 Les feuilles du bouleau rendaient l’âme les unes après les autres ».

 

Le recueil est une sorte de célébration des quotidiens (« Il est un café dans le vieux port de Loctudy »), d’hommage aux êtres, aux hommes et aux choses, à cette terre bretonne en ses nombreuses pérégrinations mais aussi, grâce à ce lien jamais rompu entre le passé et le présent, il est fidélité au temps, fidélité aux lieux. Ainsi, un poème, intitulé "Laïta" propose de :

« nous laisser conter le souvenir des millénaires » tout en observant « les gestes méticuleux du jeune pêcheur ».

Dans un autre, humblement intitulé " La petite chapelle a fermé ", on ressent un pincement au coeur  puisque  "Personne n’a pris le risque de sa succession".

 

 

Le livre tout entier est comme parcouru d’un souffle à la fois fragile et aimant, mélancolique et joyeux : « on a beau le savoir / les jours vont raccourcir » se lit en effet aussi comme une métaphore de la vie, dans un poème qui conclut en toute simplicité qu’il est temps de « rentrer du bois et des livres pour l’hiver ». Magnifique conclusion qui, au passage, allie le besoin du corps à celui de l’esprit en évoquant la matière même du livre, le bois et qui nous propose une vie à dimension.

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Arrêtons-nous un instant sur ce beau tercet qui ouvre le poème « Sablier » :

 

Qu’est devenu le sable fin

Bâtisseur des châteaux forts

Innocents de nos enfances

 

Apprécions cet usage du « sable fin » qui glisse entre nos mains comme le temps du sablier.

Apprécions aussi ce sable fin qui, de matériau, est promu au rang d’ouvrier et tout à la fois de concepteur, par une sorte de métonymie très subtile.

Apprécions enfin cette hypallage pour « innocents » que l’on a aussitôt envie de relier à l’enfance mais qui s’applique ici à ces « châteaux forts » d’abord pacifiques et ensuite pas si forts que cela. Aucun d’eux ne résistera à la marée ni au vent, ni au temps. Qu’est-il devenu ce sable de nos châteaux ? Un doux souvenir comme les châteaux de notre sable.

 

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Mais ce qui fait plus que tout le sel de ce beau recueil, c’est son art de faire dialoguer les poètes et les figures spirituelles dans un jeu subtil de références et de correspondances comme dans ce poème dont le titre « il pleut sur Brest » évoque immanquablement le souvenir d’un poème douloureux d’Aragon tout en rappelant l’histoire tourmentée de cette ville de l’extrême ouest : « il pleut et un baiser s ‘avouera toujours plus doux... » ; la phrase est laissée en suspension et nous avons envie d’y ajouter, pour clore la comparaison, et le coeur serré, « qu’une pluie d’obus ».

 Un des derniers poèmes, qui emprunte son titre « choses vues » à Victor Hugo, propose une liste de faits - de gestes, pourrions-nous dire- de poètes, et la liste est belle et longue.

Et, détail qui n’est pas négligeable, ce recueil ne manque pas d’humour. Non pas d’un humour trop bruyant ni potache, mais d’un humour du coin des lèvres, comme saupoudré et discret. En témoigne ce titre, de ce poème de l’amitié, « J’irai m’asseoir sur vos tombes » qui résonne évidemment avec cet autre titre, plus âpre, d’un roman de Boris Vian, J’irai cracher sur vos tombes.

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Poème « Semonce »

 

Il y aura toujours

en ce lieu reculé

 

si calme pourtant

un avion…

 

que dis-je

une fusée pour

 

déchirer mon ciel 

 

Outre cette mauvaise humeur feinte de propriétaire terrier (ou plutôt céleste), le poète a bien raison. Notre ciel nous est volé, de jour comme de nuit, par le bruit et la trainée de l’avion, ou la fausse étoile anormalement auréolée des stations et des fusées.

Et pourtant, redisons avec le poète ce vers qui revient en anaphore dans le poème « Dehors » :

Il faut être dehors en toute saison.

            A l’affût des brumes en mâtines

            Pour apprendre l’urgence d’un ailleurs

Il faut fuir les intérieurs  quand les fruits tombent en automne

 

« S’en aller ! S’en aller ! Parole de grand vent », écrivait le poète et essayiste Jean Lavoué (dans Levain de ma joie), éditeur également et entre autres de ce recueil de Vilboux (éditions L’enfance des arbres).

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Tout le recueil invite, en ses différents poèmes, des figures emblématiques de cette poésie de l’esprit et du vent, de cette poésie bretonne. Xavier Grall y trouve sans doute la meilleure place parmi les invités et c’est tant mieux ! Cette apostrophe « Tu es né en Bretagne en non en France » semble en effet adressée à l’auteur du Cheval couché, ce poète un peu ténébreux « Ã  la plume sauvage » :

 

A la recherche du Grall

Xavier de son prénom

figure 

 

Ce jeu de mots qu’emploie Vilboux autour du Graal n’était pas étranger à Grall, lui-même, sur son chemin de gravier.

 

Enfin, quelle joie de lire un poète qui connait et qui aime et qui comprend ce réprouvé, ce sacrifié que fut Armand Robin. Au passage, mentionnons que le début de « Lettre ouverte à Armand Robin » qui clôt le recueil ne manque pas non plus d’humour dans cet emprunt à César quand on sait le combat contre l’impérialisme que mena robin :

« Armand, tu es venu, tu as vu et tu as su ».

 

Péninsule de Vilboux, un recueil tout en subtilité, en humilité et en amitié.

Un regard pour parcourir l’intérieur de la Bretagne et la Bretagne de l’intérieur pour ceux – et c’est le titre de ses poèmes - pour ceux qui n’ont pas cent quarante jours de marche devant eux.

 


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