En 2002, Alain Durel a passé un mois au monastère de Eitaï-Ji, dans les Alpes maritimes, participant à une retraite guidée par le maître Zen Tokuda. Il a fait de cette riche expérience et de ce voyage en intériorité la matière d’un sobre recueil, intitulé Ei Taï-Ji ou la montagne du silence, paru aux éditions L’enfance des arbres. Suite de petits poèmes de trois ou quatre vers, pas si loin des haïkus, le livre est un trésor de méditations. Il est riche autant de ce qu’il ne dit pas que de ce qu’il dit.
Voici, pour commencer, trois de ses poèmes, assortis de mes modestes commentaires :
La chenille est chenille
Le papillon, papillon
Ô miracle !
Qu’est-ce qu’un miracle ? « L’irruption soudaine de ce qui doit être », ai-je envie de réponde à la lecture de ce court poème qui inaugure le recueil d’Alain Durel.
C’est que chacun, ici, chenille comme papillon vit l’instant, le seul qui soit pleinement le sien, l’instant présent. Elle, ne pense pas à ce qu’elle va devenir (comment pourrait-elle seulement le pressentir ?), lui, ne se plonge pas dans ce passé qui lui ressemble décidément si peu.
Et voici le miracle : vivre dans son présent, vivre sa vie et non celle d’un autre, pas encore né ou déjà mort.
Il faut vivre la vie consentie, dans la confiance de l’instant. Une vie-miracle !
*
Celui qui médite
En vérité
Ne sait pas ce qu’il fait
Quand le poète s’abstient de ponctuation, comme c’est le cas dans ces vers, il élargit la gamme des interprétations. Nulle économie de moyens ici mais, au contraire, un élément constitutif de la partition du sens grâce auquel les interprétations peuvent cohabiter sans se jouer des coudes.
Ainsi, je peux lire :
- Celui qui médite en vérité (de façon véritable) ne sait pas ce qu’il fait.
- Celui qui médite ne sait pas, en vérité, ce qu’il fait.
- Celui qui médite en vérité ne sait, en vérité, pas ce qu’il fait
Dans tous les cas, il fait plus et il fait moins que ce qu’il sait qu’il fait. Il ne cherche pas à faire quelque chose, ni à aller quelque part mais plutôt à demeurer à ne rien faire sans penser à être autre part. Cela le mènera plus loin, sans doute, que ce qu’il sait, en vérité.
*
Ce qui empêche
D’atteindre l’éveil
C’est la quête de l’éveil
Dans ce troisième poème de cette première série, une vérité se dit malgré l’apparent paradoxe : ne pas confondre la fin et le moyen, ne pas s’attacher à la quête de l’objet mais davantage à l’objet de la quête. Combien de fois, en effet, finissons-nous par oublier la fin parce que nous avons pris soin excessif des moyens ? Ou parce que nous avons fini par trop nous y attacher ?
Cette vérité du poème en accueille une autre : il ne faut ne pas s’inquiéter, ne pas faire de la quête un absolu, ne pas avoir peur de ne pas accomplir le chemin. Trop d’inquiétude cloue les pas du pèlerin et il devient sa propre statue : là plus d’éveil ni d’accueil, juste l’écueil.
Et, c’est tout naturellement qu’on apprend comment obtenir le silence , quelques page plus loin, par ce simple vers, le tout du poème, comme un écho de cette leçon inaugurale :
Ne pas vouloir le silence