décembre 20, 2024

 

A notre table de Noël, l’inespéré.
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Le premier de mes noëls dont je me souviens a été le silencieux et triste théâtre d’une tragédie domestique.
On m’a réfugié sur le canapé et je suis resté là, à ne plus bouger. Mes compagnons furent un sapin qui clignotait avec un air de pitié, et derrière le sapin un téléviseur éteint. Nous étions tous les trois comme punis. De l’autre côté du mur, quelques derniers murmures de la tragédie, sans doute l’épilogue. Par la fenêtre, le noir quasi sacré des mélèzes.

Ce n’était pas vraiment le soir de Noël – j’ai dit « soir de Noël" pour faire roman, c’était plutôt un de ces soirs juste d’avant, peut-être d’après. L’ombre de cette soirée-ci, à peine enneigée, se posa sur ce Noël-là et s’appesantit longtemps après sur chacun des Noël de mon enfance et de ma jeunesse. J’en vins à détester jusqu’au nom. La seule chose qui m’ennuyait un peu, c’était d’avoir à dire merci devant les cadeaux et d’aller d’embrassade en embrassade. Parfois, il y avait une messe de minuit où je voyais des gens heureux s’embrasser. Je dois le confesser, c’était pour moi un répit parce que je pouvais ne plus faire semblant.
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Toi aussi, peut-être, tu n’as plus que des cadeaux comme consolation. Ce monde de consternation, ces tableaux de querelles familiales à la queuleuleu, ces publicitaires diplômés patentés, ils ont fait de toi cet être tout d’un bloc et tête baissée, un peu nerveux qui scrute les cadeaux dans les obscurs placards de tes appartements. Tu te débats dans l'attente comme un petit chat au fond d'un sac. Tu deviens de plus en plus raide parce que les années passent et -tu le constates- il n’y a rien dans les paquets. Les emballages sont beaux mais ils sont creux, chargés qu’ils sont des lumières de la ville et du supermarché. Les cadeaux sont de trop parce qu’ils signent l’absence, tout le monde le sait et tout le monde le tait.
Nous avons fait une bêtise en lui tournant le dos et nous feignons tous de trouver cela normal. Il arrive que nous l’oubliions tout à fait. Il est là pourtant, il se tait, sa parole est silencieuse, il est là, dans un coin de la galerie marchande, dans un square, sous un porche, il pourrait dire « je suis là » mais il est discret ; lui seul sait attendre, il attend son cadeau, il attend qu’on se tourne vers lui. Il n’est pas comme ce gros balourd tout rouge et blanc, avec sa barbe en plastique, qui se rit des enfants. Celui-ci, de toute façon, c’est un imposteur. Un qui n’arrive pas à la cheville de celui dont parle celui qui dit qu’il n’est pas digne de lui retirer les sandales. C’est que bon petit papa noël fait payer chèrement ses compliments. On dit de lui qu’il emploie des rennes pour pousser son traineau mais cela aussi est faux, tu le sais, dans son lugubre laboratoire, Père Noël fait trimer des gosses pour déposer à d’autres gosses le superfétatoire. Sur le trajet, un peu sur le côté, dans l’ombre des étoiles, il y a les désœuvrés. Sur son passage, il en écrase quelques-uns. Ce sont ceux qui n’ont pas la force de dresser la table et ceux qui dressent une table en se faisant enguirlander, ceux parmi eux qui n’ont ni table ni jouet ni sapin ni guirlande.
« Qu’est-ce que cela que vous me dites ? » penses-tu… ou plutôt feins-tu de penser... Parce qu’au tréfonds de toi, tu as déjà compris ! Tu espérais un cadeau, tu as regardé tout autour quelques signaux, tu as regimbé, tu as détricoté tes journées et voici enfin le paquet. Livré pour toi. De la part de « mémé ». « Mémé qui ? ».
Veux-tu savoir le dire ? Ce qui te manque, c’est le don. Donne-toi l’usage du don. Permets-toi de recevoir le don. Ecoute, là, au-dedans de ta crèche à toi. N’entends-tu pas une petite voix dans le souffle chaud des animaux, ne sens-tu pas ce grain de paille, sous la poutre d’amour, qui t’appelle et qui t’espère. Offre-lui ton cadeau, il t’offrira le cadeau, celui que tu attends en ton lieu véritable. Noël à ta porte, Noël pour de bon ! Un noël inespéré.
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Alors à notre table de Noël, il n’y aurait pas de mets coûteux et raffinés, ni de vins, ni d’eau gazeuse. Ni mille lumières, ni paillettes qui collent au sol, ni pralinés sursucrés. Nous n’aurions qu’une flamme ou deux et du bon pain généreux de graines, du beurre et des cristaux, des noix et une pomme à partager, quelque fromage qui sentirait la terre et les vaches des montagnes, un carafe d’eau en terre, une soupe épaisse. Nous mangerions en écoutant le silence. Nous nous ferions passer les psaumes comme d’autres les plats. Nous prendrions le pain à pleine main et la soupe à pleine louche. Et l’amour à pleins regards. En nous penchant un peu, le dos courbé, nous nous souririons. Au bout de la table, entre deux petites bougies, nous aurions posé la crèche et l’Enfant et nous les vénérerions, mine de rien, sans ostentation, sans oser le dire, sans avoir à le dire. Peu avant minuit, nous partirions à la messe et quand nous reviendrions avec l’amour et la paix dans la besace de nos cœurs, nous partagerions une bonne tisane avec un petit gâteau de sable, ensuite, nous nous enlacerions et nous nous souhaiterions la Bonne Nouvelle et seulement enfin la bonne, la douce nuit.

Olivier Risser, 20 décembre 2024

 

  A notre table de Noël, l’inespéré. ----------------------------------- Le premier de mes noëls dont je me souviens a été le silencieux...