août 03, 2024

 Aujourd'hui, il sera question d'un récit et non d'une poésie et plus précisément du premier roman de Marie-Gabrielle Maistre, Les noisettes vertes,paru en mai dernier et qui contient un si bel hommage au poète Jean Lavoué dont quelques vers figurent en épigraphe. Digression de notre blog consacré à la poésie ? Pas vraiment tant le roman est jalonné de vers, tant le récit est visité par les poètes, tant l'histoire est à elle même un grand et beau poème.

 Le soleil est sans couture, signe de l’unité et de la joie plénière, entière, qui s’offre sans partage, sans accroc ni retouche. L’écriture du roman Les noisettes vertes, pour lequel l’autrice nous révèle, en fin de livre, qu’il aurait pu s’intituler Soleil sans couture en hommage au poète Jean Lavoué dont un des recueils contient ce si beau vers, est à la hauteur de cette expression.
Voici, en effet, un roman que je dirais de la simplicité et de l’instant, ouvert aux sensations, aux émotions, aux intuitions. La plume est soignée et les phrases sont comme rassurantes. Il y a quelque chose de doux à la lecture et s’il se passe finalement peu de choses, l’histoire compte moins, dans cet ouvrage, que le regard, l’attention portés aux êtres et aux choses. La narration nous offre des descriptions soignées et très détaillées sans pour autant verser dans de longs paragraphes descriptifs. Tout y est concis et précis.
L’autrice aime ses personnages et elle leur veut du bien, à tous. Dans cette écriture et cet univers plutôt féminin (« salon de thé », « pâtisserie », …) , il y a comme une attente et un accueil du masculin, trois femmes rêvant d’une relation avec trois hommes. Ce ne sont pas trois récits qui se contenteraient d’être parallèles mais trois histoires qui se côtoient sans se télescoper ni se concurrencer, et qui, par endroits, s’interpénètrent. Elles sont reliées par un fil de bienveillance, d’entraide et d’amitié (le mot « amies » apparaît à quelques reprises et toujours au pluriel et au féminin).
Voici, en effet, avec toujours à l’esprit l’expression de « soleil sans couture », un roman sans le fameux élément perturbateur, sans mort, sans trahison, sans déception, sans douleur, sans chute. Les paysages, du Japon, des Alpes ou de Camargue, y sont beaux et offrent une belle immersion, les animaux y sont de doux compagnons, hommes et femmes se nourrissent à la même source de la beauté et de la poésie. Les régions, les pays (on appréciera ici, entre autres, la précision du vocabulaire et les riches connaissances, notamment concernant le Japon) y vivent d’un souffle authentique. Jean finit d’ailleurs par ressembler, du moins sous le regard d’Amandine, aux glaciers qu’il gravit : « Dans ses yeux, brillaient le gris des roches abruptes et le bleu des lacs glaciaires » ; « un vent âpre de liberté soufflait en lui ». En un sens, le livre ressemblerait à un joli tableau, tout en harmonie, sans heurts, sans cris, sans violence. Un livre où tout est joli et qui ne va pas chercher du côté de l’obscur. En somme, un livre loin des effets de mode. Un livre véritablement libre dans son style (utilisation, à titre d’exemple, de l’imparfait du subjonctif) comme dans son propos (l’émerveillement et la beauté). Candide, suranné ? Pour qui préfère l’écriture clinique certainement, pour qui préfère la part joyeuse de l’humanité, certainement pas ! L’autrice a lu Rousseau et se souvient que l’Homme est naturellement bon, qu’il est né libre et qu’il doit demeurer proche de la nature.
En quelque sorte, c’est un livre de contemplation et de dégustation. Paul, le jazzman, l’un des principaux personnages, est celui qui incarne au plus haut degré, mais pas à lui seul, cette dimension organique du rapport à la beauté. « Paul admirait le paysage », « l’imprévu [ pour Paul] avait une saveur unique » ; « Il eut l’impression de déguster un rayon de soleil ». « Il admirait la mélodie des gouttes de pluie ». « Paul savourait l’atmosphère chaleureuse ». Deux verbes reviennent souvent et finissent par concerner tous les protagonistes : « admirer », « savourer », et c’est bien ce à quoi nous invite le roman : admirer les autres, savourer leur présence, contempler la beauté du monde
Il n’est pas rare, sous la plume de l’autrice, que les sens, ouïe, vue, odorat, toucher, se fondent les uns dans les autres pour nous aider à pénétrer de tout cœur et de tout corps dans les paysages et surtout dans les émotions intimes et vibrantes des personnages. Et c’est sans doute là que l’autrice fait preuve de plus de talent : dans l’intime. Quelques passages, qu’on aurait souhaité plus nombreux, sont à cet égard d’une très belle densité. Ainsi, cette poignante métaphore à propos d’Apolline, comme une énumération superlative, qui clôt le chapitre 5 : « elle avait choisi l’itinéraire le plus étroit, le plus froid, le plus blanc : la solitude » où ce mot de « solitude » se retrouve, précisément seul, séparés des autres.
Apolline attend Paul comme on attend l’accomplissement d’un rêve qu’on porte en soi, comme un feu sacré. D’ailleurs il y « Paul » (Pol) dans Apolline. On retrouve celle-ci au chapitre 16 avec cette superbe métaphore filée : « Elle découvrait le silence, cette farine poudreuse qui tombe des moulins de l’absence, leurs grandes ailes blanches tournant dans le vide ». Paul finira également par attendre Apolline et cette attente sera, elle aussi, vécue dans le silence : « ce mystérieux silence [celui d’un clavecin qui n’émet pas de son] correspondait bien à l’absence d’Apolline ». Quand tous deux enfin se rencontreront enfin, ce sera en musique, au son doux et libre d’une trompette.
Mais c’est dans les comparaisons, très visuelles et par le choix étudié du comparant, que Marie-Gabrielle Maistre montre le mieux son talent poétique : « Désormais, elle savait que toute vie pouvait s’écrouler comme un château de cartes » ; « elle avait envie d’ouvrir son cœur à Yukimori, et, pourtant, elle le repliait en elle comme un origami » ; « l’espoir de le revoir avait fondu comme les horloges molles de Dali ».
On appréciera aussi un récit de paroles, tout entier traversé par la poésie, Eluard en chef d’orchestre, récit pourtant sans le recours aux dialogues ni au discours direct. Gageure réussie ! Le discours indirect libre, d’un usage plus délicat en littérature, y est majoritaire et là aussi c’est une réussite. Il vient se mêler sans heurt à la narration : « Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle aperçut les flocons tomber derrière les vitres. Ainsi, Paul ne viendrait pas. Comment avait-elle p u imaginer une rencontre possible ? »
Enfin, si le titre, Les noisettes vertes, trouve son explicitation en toute fin de récit, on peut y adjoindre une interprétation personnelle qui n’est pas étrangère au récit : les noisettes vertes représentent une promesse d’avenir, un accomplissement, un été de la vie. Fin juin, elles sont vertes et n’attendent plus que les chauds rayons du soleil pour mûrir. Comment ne pas penser aux écureuils quand on parle de noisettes ? Et d’écureuils, il est justement question, à deux reprises, dans le récit, d’abord dans la salle de classe d’Apolline, quand tous les élèves, « forces créatrices et promesses d’avenir », se lèvent pour voir passer un écureuil entre les arbres. Moment unique et digressif dans le roman, clin d’œil sans doute de l’autrice à ses élèves, c’est aussi le moment qui fait la synthèse de toutes les attentes, de tous les espoirs, secrets et silencieux, qui unissent et lient les personnages et qui, pour paraphraser le poète Jean Lavoué dont un poème est mis en épigraphe du livre, « germent en eux comme une promesse ».
Le roman a parfois des élans spirituels, religieux, voire mystiques qui pourront interpeller par endroits mais qui sont pleinement assumés et intégrés parce qu’ils ne versent jamais dans le prosélytisme. Il en va en matière d’amour de quelque chose de plus important et de plus impérieux que le simple sentiment : un sens à la vie. A la deuxième occurrence du mot "écureuil", Apolline interprète l’irruption « de trois petits écureuils sur l’herbe douce » comme « un signe annonciateur ».
Quand on referme le livre, on se dit qu’on a fait un beau petit voyage dans les cœurs et les âmes, que ces noisettes vertes sont « des belles rencontres » et que, décidément, oui, le soleil est sans couture.

 


 

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